La vie révélée par elle-même dans son état inépuisable,
Noyée dans sa joie et sa douceur,
Ton cœur tout près du coeur du Divin, à jamais.
Poème de Sri Aurobindo (Pondichery, 1930/1942 )

L’élévation de la conscience ordinaire de l’âme d’entendement à la dimension contemplative relevant de l’âme de conscience permet au monde imaginatif, ou monde imaginal, de se présenter alors dans notre champ perceptuel.
Ce monde situé au-delà des perceptions sensorielles devient accessible à cette conscience contemplative au même titre que le monde des sens se révèle à la perception sensorielle.
Nous parlons bien d’un changement qualitatif survenu au sein du contenu de l’âme.

Nous savons ce monde imaginatif comme étant le monde des forces formatrices à l’origine de la structure et de la fonction du corps physique ; le monde des forces de vie et de santé qui animent ce corps physique dès sa conception, puis dans tous ses processus de croissance ou processus nutritifs, et ce jusqu’à son dernier souffle.

L’aperception du premier niveau de reconquête de notre patrie spirituelle qu’est l’Imagination conditionne fondamentalement des domaines aussi essentiels que l’art, la philosophie ou le renouveau, tant espéré aujourd’hui, des sciences et de la médecine plus particulièrement.
Nous avons reconnu en la médecine ostéopathique dans son modèle biodynamique, une tentative récente dans l’histoire humaine d’accéder très lucidement à ces forces imaginatives, à des fins thérapeutiques, par une synchronisation avec les lois du réceptacle corporel de ces forces, à savoir le corps fluidique, lui même forme particulière d’un élément fluide universel.

La perte de la connaissance du corps fluidique s’est faite, au fil des siècles, conjointement à la perte de l’ancienne imagination instinctive vécue dans une conscience sourde, proche du rêve éveillé.
Mais la seule perception physique sensorielle restera toujours insuffisante à la juste compréhension de l’organisme humain. L’évolution poursuit inlassablement sa route et nous demande de retrouver cette connaissance imaginative perdue, cette fois dans une conscience pleinement éveillée. Malgré la résistance des forces matérialistes issues d’un passé révolu et responsables du chaos actuel, le temps est désormais venu pour cela.

William Garner Sutherland, déjà présenté dans notre dernière newsletter, fut historiquement cette âme humaine si aventureuse, généreuse et profonde, chargée d’impulser au sein du monde ostéopathique ce renouveau conceptuel fluidique. Certaines de ses phrases, prononcées au soir de sa vie, ne peuvent être saisies que dans ce contexte préalablement et clairement posé.

Ainsi à 75 ans, lors de la conférence de clôture du séminaire d’ostéopathie crânienne à Des Moines, le 25 avril 1948, il prononce ces mots étonnants, d’essence très goethéenne et signifiants cette quête du monde imaginatif par le toucher fluidique : « Eloignez vous autant que possible de votre toucher physique, et vous obtiendrez le toucher connaissant avec des doigts qui voient, qui pensent, qui sentent et qui connaissent »[1].
Quelques jours auparavant, le 12 avril de la même année, il demande assez étrangement à ses confrères « d’accepter leur côté féminin », précisant que « la douceur est la clé ».
Pourquoi nous donner ces derniers éléments de réflexion ?

Dans la conscience ordinaire d’entendement, l’âme ne s’éprouve pas directement mais au travers du corps physique dont elle devient en quelque sorte tributaire, ce dernier se faisant à la fois miroir et instrument des trois forces constitutives de cette âme : le penser, le sentir et le vouloir (avec comme corollaire l’agir).
Que deviennent alors ces trois forces dans leurs transmutations imaginatives ?

Si le penser se fait sagesse agissante et le sentir quête de beauté pour l’œuvre de création artistique des forces formatrices, l’intention du bien qui préside à l’agir prend appui sur la douceur.

La douceur comme puissance de transformation des choses et des êtres.
La douceur comme force de métamorphose nécessaire à la plasticité des images (ou Idées) qui peuplent le monde imaginatif.
La douceur comme intelligence face à la précarité, l’errance et la solitude de cette vie.
La douceur comme noblesse devant ce que la violence de ce monde dévaste.
La douceur lorsque la main de l’homme redevient pensante. Là où sentir devient penser, penser devient sentir.
La douceur, enfin, comme lien entre le tangible et l’intelligible.

Le beau livre d’Anne Dufourmantelle[2] nous aidera à poser la place de la douceur dans cette saisie du monde imaginatif.

Aujourd’hui l’ostéopathie biodynamique parle bien, elle aussi, d’une puissance douce féminine, non vectorielle, issue de l’imprégnation des fluides du corps par le Souffle de Vie, ce dernier d’essence purement spirituelle et constituant le Principe fondamental de Guérison.
Cette puissance douce, perçue par Sutherland, véritable processus thérapeutique efficient comme force de désengagement des lésions du corps fluidique est décrite comme un vent très doux, presque un nuage, bougeant à l’intérieur des fluides du corps[3].

Une douceur invincible[4] qui toujours nous traverse, témoin discret de notre Félicité secrète.

 Luc TOUBIANA

[1] A. Sutherland & A. Wales, Contributions de Pensée de W.G. Sutherland, p.146. Compilation de textes écrits entre 1914 et 1954. Ed. Sully, 2017 pour la traduction française.
[2] A.Dufourmantelle, Puissance de la douceur, Ed. Payot, 2013.
[3] Dr J.Jealous, Ostéopathe D.O (U.S.A) : polycopié de cours « ostéopathie biodynamique, phase II », 1997.
[4] L’expression est de Marc-Aurèle.