Un festival à Grez-sur-Loing
« Laissons-nous plutôt porter par la certitude paisible que les intermittences du bonheur le plus haut, dans l’amour comme dans l’œuvre, sont aussi conformes aux lois de la Nature, et que nous sommes en route vers ce bonheur à chaque pas que nous faisons vers nos authentiques moments de fête. »
Lou Andréas-Salomé, Eros, 1910

Pourquoi un festival à Grez ?
Parce que dans le mot festival, il y a le mot fête
.
Nous aurions pu choisir d’organiser un événement ou deux, et laisser aux associations artistiques et culturelles déjà implantées à Grez le soin d’agrémenter l’été, ce qu’elles savent très bien faire.
Mais nous voudrions ouvrir une fenêtre de réjouissances. Créer un moment festif. Et, dans cette ouverture dévolue à « la création, l’adoration et la joie »[1], lancer des invitations aux artistes, aux associations de Grez et des environs, aux penseurs et chercheurs en tout genre. Nous voudrions poser le cadre au sein duquel chacun, avec le temps et dans cet esprit que nous essayons d’insuffler, pourra trouver sa place.

Khôra Imagination n’est pas une société de production. Ce n’est pas une compagnie théâtrale non plus, ni une galerie d’art. L’ambition que porte ce projet n’est – cela va sans dire – pas commerciale. Et elle ne se limite pas à la volonté, certes très honorable, d’offrir à un village des instants de beauté et de convivialité.
Cette fenêtre spatio-temporelle, que nous ouvrons, cette année, du 5 juin au 5 septembre,  plus symboliquement qu’effectivement – une grande partie de l’été se déroulera en effet sans manifestation aucune – voudrait témoigner d’une ouverture des cœurs.

Je citais en tête de cet édito Lou Andréas-Salomé. Elle fut l’égérie de Nietzsche et de Rilke, entre autres. Freud, ébloui par son intelligence, la surnommait « la compreneuse ». C’était, elle aussi, à sa manière, une aventurière de l’abstraction. Elle appartenait à ces groupes plus ou moins formels de révolutionnaires qui, au tournant des XIXe et XXe siècles, tentèrent d’inverser le sens de l’histoire, laquelle se précipitait vers la matière, accélérant la chute de l’Occident. Leur geste passa inaperçu. S’imposa partout la rationalité comptable, l’économie marchande, l’égo et son chapelet de vices.

Nous y voilà enfin rendus, confrontés à un virus qui s’adresse directement à notre matérialisme. Les discours absurdes autant que contradictoires que cette crise sanitaire génère et le désir d’échapper à l’enfermement auquel nous condamne le mensonge – entendez ici le pseudo, de ψευδής (pseudes) en grec, qui a le sens de faux, et dont chacun s’affuble désormais pour surfer sur le net – sont à l’origine de cette proposition festive.

Pouvons-nous, grâce aux arts, réveiller nos âmes, nous rouvrir à ce plan suprasensible où elles se mettent à converser, reprenant l’écriture de dialogues très anciens restés en suspens, comme en attente de notre conversion ?

C’est notre pari : nous approcher, au cours de cet été qui sera assurément encore bien trouble, chaque jour davantage de « nos authentiques moments de fête. »

Nous ne comptons pas sur vous. Nous espérons en vous.

 Camille Laura VILLET

[1] Lou Andreas-Salomé, Eros, Paris, Les Editions de minuit, p.96