Imagination III
Connaissance intellectuelle, mémoire et connaissance contemplative
Partie 1/2

« Les artistes vivants, tous les artistes, dans tous les domaines artistiques – peinture, musique, littérature, sculpture, danse, cinéma – ont le devoir d’expliquer non aux enfants, mais aux intellectuels figés ce qu’est l’imagination et pourquoi, dans l’éducation des jeunes humains à notre époque et dans notre pays, elle est non seulement utile mais indispensable, et même de plus en plus utile et indispensable avec chaque année qui passe. »
Nancy Huston, « l’imagination à l’école » (mai 2013)

En guise de conclusion des réflexions éditoriales précédentes, nous souhaiterions partager avec vous notre compréhension actuelle de la connaissance. Ce partage se fera plus facilement en deux parties qui feront l’une l’objet du présent édito, l’autre celui du suivant.

Il existe une connaissance imaginative ancienne, comme une conscience de rêve, reflet de l’humanité des temps mythiques. Cette connaissance a sombré dans les profondeurs de notre inconscient et notre vie onirique peut encore en témoigner. Cette vie imaginative est là, déjà en nous… Nous ne faisons que la recouvrir de différentes couches de conscience ordinaire portée par l’âme de sensibilité et l’âme d’entendement, fondement de notre connaissance intellectuelle commune.

Dans l’activité perceptuelle ordinaire de la vie courante, à présent, représentations imagées mortes et représentations imaginatives vivantes coexistent en nous en permanence.
Les unes montent à la conscience mais pas les autres.
Les représentations imagées mortes conscientes sont des représentations imaginatives vivantes qui ont freiné, jusqu’à annuler, leur vitalité sous l’action paralysante des sens physiques.
Les autres, restées inconscientes, l’âme ordinaire les vit mais sans rien savoir d’elles.

Dans le cas particulier de la mémoire, des représentations conscientes du passé peuvent sombrer dans l’oubli, être donc refoulées dans l’inconscient pour y retrouver une vie totalement agissante. Le fait de se souvenir, de se remémorer (notre mémoire ordinaire), consiste en l’effort nécessaire à la remontée de ces images vivantes vers la conscience et à les retransformer en représentations abstraites puisqu’à nouveau conscientes.
L’âme ordinaire ne saurait, seule et par ses propres forces, réaliser un tel processus de traction ou d’élévation. Elle doit pour cela s’appuyer sur les forces du corps dont elle est encore à ce stade tributaire, tout comme elle le fait pour les représentations ordinaires de veille avec les organes des sens mais, cette fois, dans une direction opposée.
Cependant, si l’âme réalise ce même processus d’élévation à partir de ses propres forces (et non celles du corps), et en se référant au monde de l’esprit (et non au monde sensoriel comme dans le cas de la mémoire), alors le monde de la connaissance imaginative peut s’ouvrir.
Dans les deux cas, mémoire ou imagination vivante, il s’agit bien de se réapproprier un vécu oublié.

Nous avons précédemment établi que les manifestations de la conscience ordinaire dépendent de l’organisation corporelle dont elle est tributaire.
La fonction représentative de cette conscience ordinaire, portée par le système neurosensoriel, touche notre vie psychique par le monde sensible.
L’observation sensorielle et l’élaboration de la connaissance intellectuelle des données acquises par l’âme d’entendement  constituent fondamentalement notre état de veille habituel.
Les représentations ainsi élaborées sont des copies, des reflets figés de la réalité, comparables à des photographies.

Mais est-ce là la véritable activité représentative, sa nature profonde, ou au contraire une fonction détournée de ce qu’est cette activité, en son essence ?
Car la simple connaissance intellectuelle, l’entendement,  est un penser qui n’a pas pouvoir à pénétrer la réalité du monde. Pour cela, Il doit, après s’être enfoncé dans la réalité matérielle, s’élever. Sinon, il se limitera à un rôle éducatif pris dans le jeu des nécessités de la vie pratique.

Les traditions spirituelles (et nous pensons aussi à Schelling qui restaure l’intuition intellectuelle que Kant avait abandonnée) nous enseignent qu’il existe, parallèlement aux perceptions du monde sensible, une perception que l’on pourrait qualifier de purement psychique, donc sans le support de l’activité sensorielle.
Nous sommes des êtres ternaires et notre âme se trouve positionnée à l’interface du corps et de l’esprit.
Elle peut donc se tourner vers l’un comme vers l’autre ou, si l’on préfère, être touchée par l’un comme par l’autre.
Reflétée par le corps, sa conscience est ordinaire avec les trois forces nommées préalablement : le penser, le sentir et le vouloir.
Mais quand cette âme se tourne vers l’esprit, les choses changent…

Luc TOUBIANA